Meta Mari Carmen Hernandez “Epreuve” d’Artiste

“Epreuve” d’Artiste

Concours Littéraire Mères-Filles
Le Cherche Midi  –  23 rue du Cherche Midi  – 75006 Paris

Ma relation de fille avec ma mère fut turbulente dès ma naissance jusqu’à l’âge de la Passion du Christ ! Ma mère, comme la Vierge Marie, a mis au monde neuf enfants, six garçons et trois filles mais, elle a enduré douze grossesses.
J’étais son cinquième enfant. Entre ma sœur aînée et moi, une sœur est décédée quelques minutes après sa venue au monde. Parmi les trois filles vivantes, je me tiens donc au milieu.
Je suis née un an après cette sœur morte, dans une très grande métropole d’un pays dit « du tiers monde » le Mexique, mais qui a des cotés moins archaïques que mon cher pays d’adoption.

Née sous le signe du scorpion -qui a la pire réputation, dirait mon ami Bobo- je ne saurai jamais quel est mon ascendant car, après douze accouchements, ma mère mélangeait dates et heures. A quelle heure eut lieu ce joyeux moment, est-ce au crépuscule ou à l’aurore ? Ma mère me disait : « à l’heure grise », signifiant par là « à un mauvais moment » mais moi, je m’obstinais à penser que c’était le moment magique de la journée, où les couleurs apparaissent, ou disparaissent…

Personne ne pourra jamais faire mon horoscope. En tout cas, aujourd’hui, je suis peintre, une coloriste « de grand talent » disait Papi, le grand-père français de mon fils, issu des Grandes Ecoles. En fait depuis mon arrivée en ce monde, je suis surtout une originale selon les dires de ma mère, originale je le suis par la couleur à la différence de mes blonds frères et sœurs, j’ai la peau mate; le quart de sang indien de mon grand père paternel prédomine dans mon physique; deux autres quarts de sang espagnol, donnent à mon caractère cette impétuosité que je ne contrôle pas toujours, disait ma mère; le dernier quart est français, je le tiens de ma grand-mère paternelle qui venait de Barcelonnette. C’est sans doute ce quart qui m’a conduit à sa mère patrie avec « un mariage d’ Amour », ce grand feu brûlant de passion qui vire, en s’éteignant, à l’indifférence …Je suis en France depuis vingt ans.

Mes quatre quarts mélangés ont vu la lumière, le quatre novembre, il y a « sin cuenta = cincuenta ! » ans. A ma naissance, j’ai été placée dans une couveuse, car la maternité manquant de chambres força ma mère à loger dans un autre bâtiment. Comme le froid de novembre empêchait de me sortir et traverser la cour pour rejoindre le sein de ma mère, on lui tirait le lait. Ce qu’elle détesta, et qu’elle me rappela toute sa vie. Enfin, passons !

Finalement, après quelques jours, on me pomponne, on me perce les oreilles pour y mettre de jolies petites perles offertes par ma gentille marraine de 85 ans, et on m’emmène bien couverte dans sa chambre. L’infirmière m’avait habillée d’une belle layette tricotée, par ma mère sûrement. Ma mère me voit, elle s’exclame : « ce n’est pas possible, cette fille n’est pas la mienne, on me l’a changée, elle est trop brune… » Eh oui, elle était raciste…Elle était contre tout, contre moi ce jour, puis, je le découvris ensuite, elle était contre les autres religions, les autres couleurs de peau et les autres classes sociales. Contre tout.

Aujourd’hui je suis à l’âge de la « pause des femmes », ma mère est morte depuis dix ans; mon père a disparu depuis presque trois décennies. Elle ne pourra pas me dire si je dois prendre des hormones ou faire comme elle, n’utiliser que des remèdes de grand-mère, des recettes qu’elle a emportées dans sa tombe, comme tous ses secrets, qu’on ne connaîtra jamais.

Ai-je vraiment fait le deuil de ma mère, qui, j’en suis sûre, est aux cieux et heureuse ? Née le 12 mars 1920 et morte le 1er novembre 1993 (jour de tous les Saints, elle a échappé de peu, au 31 octobre, jour des sorcières et de la magie ! ). Ce 1er novembre, dixième anniversaire de son décès, j’irai allumer un cierge, à la Basilique de Guadalupe pour la fête des morts tant célébrée dans mon cher pays d’origine. J’irai aussi pour mon père, qui repose seul en face de la tombe de sa femme.
C’était ça le choix de ma mère; de ne pas être enterrée avec son mari.
Elle qui m’a critiquée tout sa vie pour avoir osé divorcer, elle a voulu prendre le chemin de l’éternité seule, libre, dans une sorte de divorce tombal. Seule, accompagnée de sa sainte marraine (qui était aussi la mienne) et de ma sœur morte, sœur qui porte le même prénom que moi, cette homonyme, je ne l’ai appris qu’au moment de l’enterrement de ma mère… Oh surprise ! Avant, pour toute la famille, c’était une petite fille morte sans prénom…Eh non, elle a un prénom, qui lui avait été donné il n’y avait pas si longtemps…
C’était ça le choix de ma mère.

Mon père, je suppose, ne l’aurait jamais permis. A quoi sert aujourd’hui de faire des suppositions ou de prendre les choses de manière personnelle ?
C’était ton problème Maman et ton histoire. Transférer les restes d’un fœtus féminin sans prénom, d’une tombe, à ta future tombe, lui donner un prénom, et tu as voulu lui donner le mien ! J’étais déjà mère moi même quand je l’ai su…pire que moi, Dalí, lui l’a su depuis sa naissance que son frère mort s’appelait Salvador !

Marie-Carmen un prénom composé de deux Vierges pour mon pays d’origine, mais d’une Vierge et d’une « femme de joie » pour mon pays d’adoption… il fallait assumer, ce que je pus faire grâce à un nouveau nom acquis professionnellement, donné par un galeriste, au grès du hasard, comme un titre donné par un ange qui passe, comme ça … dirait Sage Di-Ghan (dont j’ai peint le portrait)

Ma chère petite maman, je pense que tu as dû beaucoup souffrir dans ce monde de révolutions et de nouveautés, qui ne cesse de bouger de changer et va à une vitesse de haut voltage; tu aurais été mieux dans un autre siècle, qui sait ?
J’espère, que malgré tout, tu as été heureuse, avec un homme qui t’a aimée, vénérée, respectée et quittée en mourant, bien avant toi et avec tes neuf enfants; « tous ceux que Dieu m’a envoyés » tu nous disais, tous t’aimant et te respectant beaucoup.

Personnellement, je ne choisirai pas d’être enterrée pour mon passage vers l’éternité, à la Basilique de Guadalupe, aux pieds de la Vierge, ni avec toi, ni avec papa, que j’ai tant aimé; je l’ai décidé cet été. Mon très cher fils, emmènera mes cendres aux portes de l’océan, là où l’infini interdit commence…là, je serai plus proche de ma foi, cette foi œcuménique que je me suis inventée tout au long de cette merveilleuse vie que je vis aujourd’hui grâce à vous mes chers parents, vous me l’avez transmise, avec l’espoir de nous retrouver un jour à nouveau…

Je ne règle pas de comptes : j’ai soldé tous mes comptes…mon passé, mes expériences m’ont construite, ce dont je suis fière. Je voulais que d’une façon ou d’une autre resurgissent quelques anecdotes, la première de la liste qui est longue et qui en a des bonnes et de mauvaises; je ne veux pas juger, je ne te juge pas, tu as été comme ça, le propre fruit d’une histoire, une femme, une belle femme, avec beaucoup d’allure, une marquise d’une autre époque, une boite de Pandore, qui savait faire maintes choses, une femme avec ses qualités et défauts, avec ses principes, ses interminables intrigues, ses rancunes, ses préférences, ses faiblesses. Nous aurions pu être amies, il est dommage que tes principes sans fin t’en aient empêché.
Tout était péché pour toi et avec cette règle primaire, ma chère maman, c’est toi qui nous a divisés et séparés, nous, tes neuf enfants et le reste de la famille.

Aujourd’hui je pense à toi avec respect, tendresse et mélancolie, même si ta présence, ton passage dans ma vie furent trop brefs.
Cependant, j’ai toujours eu envie d’un fils, jamais d’une fille.
Je suis la mère de Diego … un fils, un merveilleux fils, gentil, doux, beau, intelligent, malin, un prince !!! Il a 16 ans et demi aujourd’hui.
Ma relation mère-fils est un rêve réalisé ! Je suis la mère que j’aurais voulu avoir. Je m’entends très bien avec mon fils; heureusement j’ai eu un fils !
Il a la sagesse des Toltèques* dans son sang, le savoir faire des Français et la tradition des Slaves, tout ce mélange a donné une superbe harmonie. Je ne peux que remercier Dieu pour un si beau cadeau des Rois Mages.

Depuis que tu es partie, j’ai réalisé plusieurs de mes rêves de jeunesse : vivre à Paris comme artiste, exposer mes tableaux dans une des meilleures galeries, être éditée par le meilleur éditeur de livres d’art au monde; j’ai dessiné et construit ma maison au bord de la plage tropicale à mon goût et selon mes besoins; aussi la guerre a éclaté en Irak; on a volé le violon de mon fils et les assurances évidement ne payent rien; il a plu, il y a eu du soleil; les grèves de trains et d’avions se succèdent; les Américains déstabilisent l’économie mondiale; les gens se ruinent et perdent des fortunes à cause des petits banquiers qui ne savent pas gérer leurs fonds; les escrocs gagnent grâce à leurs avocats; la confiance est abusée; la justice n’existe pas; j’ai vu plusieurs films, de belles pièces de théâtre, de magnifiques expositions d’art; j’ai toujours l’espoir de retrouver un jour ma moitié qui m’a quittée au moment où on était tous au ciel, comme nous l’indique Platon dans Le Banquet, je ne sais pas si on se reconnaîtra à nouveau, la vie nous rend aveugles, méfiants, la famille trahit la famille, on doit jouer des rôles chic chic ou cha cha cha, il faut jouer son rôle de fille, de femme, de mère, d’amie, d’artiste, tout le temps, mais avec toutes les épreuves qu’on a pu avoir ensemble toi et moi, sache bien que j’ai bien reçu tous tes messages et les transmet à mon tour à Diego : Les aïe aïe aïe, de cette vie !

Je suis toujours là, je te garde une place dans mon cœur pour toujours et suis sûre que tu seras la meilleure des grands-mères pour notre si cher Diego…

Meta Mari Carmen Hernandez,

Pavillon du Roi, le huit octobre deux mille trois
Anniversaire des vingt sept ans de la mort de mon père.


* NOTE :
Toltèques : ancienne civilisation du Mexique qui nous a laissée sa sagesse en héritage avec quatre accords comme apprentissage et guide pratique pour la libération personnelle.
1. Ne pas faire des suppositions.
2. Ne pas prendre les choses personnellement.
3. Etre juste et impeccable dans ses paroles.
4. Faire tout le mieux possible