De sa terrasse de Montmartre, radeau posé sur une mer inquiète, Paris se déploie. La nuit, les formes se sont dissoutes et seuls comptent les éclats de lumière, rouges, dorés, blancs ou bleus. C’est alors que Mari Carmen se lève et ramène à elle cette écume légère, ce scintillement, ces nénuphars éclos de la houle nocturne.
Ardoises-paysages, détachées d’un toit lointain, recueillies par l’artiste qui lisse les stries et polit la matière rugueuse jusqu’à ce que, mieux que ne le ferait une toile, elle reflète l’immense ville endormie.
Ardoises-portraits aussi. Mari Carmen est célèbre pour ses Faces, visages puissants et calmes, dont le regard brûlant retient. Les voici sur ardoise, auréolés de noir. Doit-on, devant eux, s’agenouiller ou s’enfuir ? Sont-ce des saints à vénérer ou des brigands à redouter ? Figures de la sagesse, figures du danger, ou les deux accordées comme dans la magnifique Trahison, inspirée de Giotto ? On peut jouer à reconnaître un président mexicain, un écrivain français, une grave jeune fille, un ami au doux sourire, mais la ressemblance importe peu. Mêlant réalité et fiction, les portraits imposent la vérité de leur présence. A leur tour, ils interrogent : qui êtes vous, vous qui me regardez ?
D’autres merveilles encore dans le livre de pierre que Mari Carmen invite à feuilleter. Petite stèle, l’ardoise permet la métonymie : des mains de la pianiste coule la musique ; de l’arbre naît la forêt ; le pied cambré dit la souplesse de la danse tandis qu’un bouchon rouge éclatant promet les meilleurs vins.
Si Mari Carmen Hernández, artiste du Mexique et de France, possède la science et le goût de la couleur – voyez comme elle parvient à encadrer les bleus confondus du ciel et de la mer dans Acaba de Pasar – elle sait aussi, avec une grande maîtrise, n’user que du blanc. Blanc sur noir. Surgit alors, auguste et familière, la coupole du Sacré Cœur de Montmartre, comme un veilleur dans la nuit.
Sophie-Caroline de Margerie • 13 mai 2013