Michel Deguy Scalènes Scalaires

 “Scalènes Scalaires”

Les murs ont des boucles d’oreilles.
Une échelle de satin se fait la longue échelle jusqu’au balcon ou l’amant de Vérone vient sauter. Juliette relève ses lacets polychromes.
L’ange a tiré l’échelle. Les acrobates font sécher leurs cordes à nœuds. Le petit pois grimpeur des contes s’est enchiffonné pour la fête des ascensions. Le sublime ramasse ses filets.
Rets, croisillons, entrelacs__ toute la trame de l’habitude humblement soumise, voici l’artiste rétiaire l’exhibe : l’âme d’un artefact (et tout ce travail obscur de mercière, d’enrubanneuse !), ordinairement cachée comme Marthe, sort de l’usage pour se donner en exemple, offrant ses nouveaux services : libres, disponibles, pour entrer dans la comparaison, fournir des parures comparatives ; tisser un nouveau rapport entre la tapisserie et la harpe polygone, entre le métier et une lyre à cent cordes, entre la mosaïque et la musique… ; relation qui attend d’être cueillie, dite, reprise dans une fable : celle-ci.
Ce qui est (on dirait par exemple un nocturne Manhattan) est, aussi, en étant comme, tressée : le ciel rouge est à tordre, les gratte-cieux violets rempilent comme mailles.
Cosmos__ telle est la preuve par l’étymologie__ c’est une belle coiffure. Comb, le peigne anglais, en fait mémoire. La cosméticienne, la combiste, elle natte les verts et les roses, elle tord un microcosme de bigoudis africains : beaux tores musclés, pareils à des gants de pancrace ou à des ligaments bandés de danseurs nippons, ils captent, resserrent, et font ressortir l’énergie qui strie le vide ; files et contractent les courants de lumières comme des pylônes de notre éclairage. Ce réseau, toutes ces parallèles bonnes conductrices de couleurs, avant de disparaître à l’infini, se pressent, se tangentent, se croisent, se repoussent__ ici : un barrage étoffé ou du temps s’est accumulé, et qui stalagmise ou défile maintenant devant nous en strate, en prismes, en bandes moirées.
Matière de vannerie, mémoire de tissanderie, on dirait qu’elles font provision : toute une économie de réserve et de réparation, d’engrangement, de tassement, d’espacement ; et c’est la fonction des œuvres d’échantillonner cette production pour elle-même. Elle enfile les anneaux de cuivre et de chlore, elle démultiplie la toison d’or, le gilet bigarré des pages, les résilles de soie, et maintenant elle bouche la perspective du cadre avec de fins pansements nuancés.
Or un nœud, ça n’a qu’un dénouement possible « dans la vie » ; ça se tranche. Mais on ne peut trancher un nœud que si on a pas compris l’essence du nœud, pas réfléchi au dénouement ; bref : quand on est « jeune », et que l’impatience de ne pas comprendre mute en colère qui coupe. Dès qu’on rentre dans le nœud, on devient Moebius, on ne peut plus trancher. Adieu « gordien »… on devient gardien de nœuds.

Michel Deguy • Paris • 1988